L’Intime & Le Monde met en lumière une sélection d’œuvres de trois plasticiens contemporains bruxellois : Marianne Berenhaut, Sarah Kaliski et Arié Mandelbaum.

En matière d’esthétique pure, de courant artistique, il serait difficile de trouver un lien commun, dans le travail de ces trois artistes.

Et pourtant ce qu’ils donnent à voir renvoie bien à ce destin dramatique qui, en dépit du fait qu’il s’exprime de trois manières extrêmement différentes, est sensiblement le même.

A travers l’exposition L’Intime et le Monde ces trois artistes revisitent la mémoire de la génération des enfants juifs bruxellois ayant survécu à l’extermination.

Marianne Berenhaut est née le 31 juillet 1934 à Bruxelles. 

En 1942, son destin bascule lorsque ses parents et son frère aîné sont assassinés à Auschwitz-Birkenau. Orpheline à l’âge de 8 ans, l’artiste grandit auprès de son frère jumeau. Au lendemain de la Guerre, les enfants sont adoptés par un couple belge proche de leurs parents, dont ils porteront le nom en second patronyme.

Marianne Berenhaut – 2017 Espiègle autant que grave, «elle trottine dans l’épouvante», comme l’évoque son ami peintre Walter Swennen.

Jeune adulte, Marianne Berenhaut se consacre au métier d’infirmière. Pour son travail, elle fréquente les hôpitaux et les centres psycho-médicaux-sociaux mais également le Snark. Institution en gestion collective inspirée de la libre école de Summerhill et de la psychothérapie institutionnelle, le Snark voit le jour en 1973 et accueille des adolescents en rupture scolaire. Ce lieu est fréquenté par de nombreux intellectuels pétris des utopies de l’époque, tels que Jean-Luc Outers, Yves Depelsenaire, Jacques Velgues et Béatrice Wauters.

C’est parallèlement à sa profession et en parfaite autodidacte que Marianne Berenhaut initie son «travail en trois dimensions».

Son œuvre est faite de grandes plages, dit-elle : « Ce sont des cartes géographiques qui nous montrent de vastes étendues, des repères de pays, montagnes, plaines, mers, volcans, rivières, bois et petits villages. Toutes ces œuvres portent un nom qui précise, désigne chacun de ces éléments, les différencie les uns des autres, à l’intérieur de ces grandes familles ».

Ces « familles » débutent dans les années 60 avec Les Maisons-Sculptures. Marianne Berenhaut entreprend la réalisation de ces constructions élémentaires faites de barres de bétons, de toile de jute et de plâtre. Ce sont des abris pour personnages, absents. 

En 1969, une chute de plus de quatre mètres immobilise longuement l’artiste.

Une profonde remise en question et l’incapacité physique de travailler aux imposantes sculptures, l’emmène vers de nouveaux horizons. Au début des année 70, Marianne Berenhaut crée Les Poupées-Poubelles, corps féminins aux mémoires enfouies et accumulées faits de bas nylon dont l’artiste s’empare pour les remplir d’étoffes et d’objets divers.

À ce moment, la voie qu’elle emprunte est confirmée par la découverte des théâtres de sculptures d’Edward Kienholz et s’enracine dans une période baignée de féminisme. L’artiste s’en revendique et participe en effet à son émergence. Son œuvre est alors portée et défendue par le mouvement féministe belge incarné par des figures telles que Françoise Collin, Jacqueline Aubenas et Nadine Plateau.

Dès 1981, les objets que Marianne Berenhaut collectionne, rassemble et conserve entrent en relations dans les installations nommées Vie Privée.

Véritables personnages, ces objets sont les protagonistes d’une scène imaginaire que surprend le spectateur lors de sa visite. L’œuvre se donne et le récit advient, différent pour chacun qui le recompose. « Toutes les histoires que l’on se raconte, explique l’artiste, ne sont après tout que des hypothèses ». Les siennes, elle les invente ultérieurement car ce qui prévaut à la réalisation des installations est l’aspect visuel, la singularité formelle de chacune d’entre elles.

C’est tardivement, dans le film qu’André Dartevelle consacre à Marianne Berenhaut en 2002, que l’artiste révèle que l’un des fils rouges de son œuvre est de rendre hommage à ses parents et à son frère aîné.

Il s’agit pour l’artiste « de témoigner de leur absence-présence, d’entretenir leur mémoire comme si, dit-elle, ils se tenaient la main ».

En 2007, le Musée des Arts Contemporains du Grand Hornu, dirigé par Laurent Busine, lui consacre une exposition monographique et place l’artiste au rang des figures importantes dans le champ de l’art contemporain en Belgique. Sept ans plus tard, en 2014, Marianne Berenhaut est à l’affiche du Musée Juif de Belgique pour une manifestation d’envergure.

L’artiste travaille toujours entre Bruxelles et Londres où elle réside actuellement. Au gré de ses découvertes, elle poursuit son cheminement et son inlassable quête, chinant et récupérant ce qui l’inspire bref on peut dire qu’elle anoblit les déchets du monde.

 

Les installations de Marianne Berenhaut disent l’absence, le sans retour et la vaine attente…

 

 

 

 

« Quelqu’un manque mais existe impérieusement, invisible, irreprésentable, fondant son empire sur cette invisibilité. Et les robes, pyjamas, lunettes, trousseaux de clefs, chaises empilées ou accotées, tasses, miroirs, étagères, ne sont pas des déchets, des restes mais des témoins. »

Françoise Collin, in Bulletin d’Art en Marge n° 21, Bruxelles, septembre 1989

 

Marianne Berenhaut Vie privée. Est ce qu’il me reconnaitra 2012. Photo ©Nicolas Leroy et Ludovic Jaunatre

« C’est du théâtre et il n’y a personne. Celui qui est passé est celui qui arrive sur les lieux. C’est vous c’est moi. On regarde, on se penche, on se tait. Et l’on se met à parler pour soi. On a oublié qui l’on venait voir. »

Gérard Preszow, in Bulletin d’Art en Marge n°21, Bruxelles, septembre 1989

 

Sarah Kaliski voit le jour à Bruxelles, le 8 septembre 1941.

Son père, Abraham Kaliski, né en 1908 à Lodz, en Pologne meurt assassiné à Auschwitz et dès 1945, sa mère Fedla élève seule ses quatre enfants. « Dans la retraite où ils sont confinés même

Sarah Kaliski Photo ©Christine Vincent, 1984

après-guerre, écrit Marc Quaghebeur, c’est par les livres qu’ils reçoivent le monde. Ils se le restituent par ce théâtre qu’à quatre ils jouent, à l’ombre d’une mère dont le yiddish était la langue. »

C’est à l’école et sous le toit familial que Sarah Kaliski commence à dessiner. Dès l’âge de 12 ans, elle fréquente les cours de l’académie du soir à Etterbeek, entre en 1959 dans l’atelier de peinture de Léon Devos à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles, après être passée par ceux de Jean Rancy, professeur de dessin, et de Claude Lyr, professeur de gravure.

En 1960, la jeune peintre reçoit le prix de maîtrise de la Ville de Bruxelles. C’est en 1964 que la Galerie de l’Escalier lui consacre sa première exposition, très rapidement suivie par celle que l’artiste présente à la Galerie Albert Ier en 1965. Ses professeurs, son entourage et le public s’accordent tous à lui reconnaître le don et la virtuosité dont son œuvre naissante témoigne et qui se confirmeront au cours des années.

Sarah Kaliski s’empare de l’histoire du XXe siècle et de ses figures mais offre également à la contemplation des fragments intimes et autobiographiques.

 

Tout support convient à ses passions : les pelures séchées d’avocat en passant par les sous-verres en carton, les bâches aux dimensions surhumaines et le noble papier de soie. Elle n’a de cesse d’aller de sagas amoureuses en destins tragiques d’enfants et de familles détruites.

D’un tempérament entier et passionné, l’artiste se consacrera totalement à son œuvre jusqu’à sa mort survenue bien trop tôt (en 2010 à Paris).

De parents juifs polonais, Arié Mandelbaum est né le 7 juillet 1939 à Bruxelles, dans le quartier de la gare du Midi.

Arié Mandelbaum- Photo ©Philippe-Orlinski-2008

Marqué par la Shoah, ancré malgré lui dans l’histoire, le peintre témoigne d’un engagement politique précoce. Enfant, il rejoint un mouvement sioniste de gauche, la Hachomer Hatzaïr, et se voit rebaptisé Arié, qui signifie Lion en hébreux ; traduction de Léon, prénom d’origine de l’artiste.

Agé de quatorze ans, il quitte la Hachomer pour les Jeunesses Populaires, embryon des Jeunesses Communistes.

C’est alors qu’il abandonne peu à peu l’école, estimant qu’il apprendra plus de cette vie que de ce qui lui est enseigné. Elément fondateur, le jeune homme rencontre la culture dans les Lettres Françaises où il découvre, outre les poèmes d’Aragon, Eluard, Neruda et Hikmet des reproductions de Picasso, Léger et Pignon. Toutes les questions qu’il se pose et les doutes qui l’habitent trouveront désormais leur miroir en peinture. Elle s’impose comme une nécessité.

Le jeune peintre quitte le toit familial à l’âge de seize ans pour emménager dans l’Hôtel délabré du Grand Miroir, lieu historique de Bruxelles où séjourna Baudelaire et qui sera détruit dans les années 60. Il y rencontre le peintre Ralph Cleeremans avec qui il se lie d’amitié et y côtoie des personnalités comme Camille De Taye, Marcel Arnould, Jacques Calonne ou encore Marcel Mariën et Benoît Quersin. C’est en 1956 qu’il rejoint l’atelier de Léon Devos à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles après avoir passé une année chez Paul Frognier. 

Arié Mandelbaum présente une première exposition personnelle en 1960.

Trois ans plus tard, la Galerie Tamara Pfeiffer à Bruxelles lui consacre une exposition qui rencontre l’engouement de la presse. Le jeune artiste est présenté comme l’un des talents les plus prometteurs des écoles belges.

L’avocat et historien d’art, Bob Claessen le rapproche même des grands peintres juifs Chagall et Soutine.

En 1965, Arié Mandelbaum remporte le prix de la Fondation belge de la Vocation.

Histoire, politique, thèmes familiaux et témoins de son existence dévoilent dans les dessins et les peintures sombres des premières années une angoisse existentielle.

En 1969, Arié Mandelbaum rejoint le Mouvement réaliste belge regroupant des peintres tels que Jorg Madlener, Roger Someville, Frédéric Beunckens ou encore Jacques Muller ainsi que le sculpteur et ami Joseph Henrion.

Mais très vite, Arié marque une rupture avec le groupe pour poursuivre une œuvre singulière.

Dans les années 70, l’expressionnisme exacerbé des débuts laisse peu à peu la place à une expression plus retenue. L’émergence et la puissance de l’œuvre de son fils, le peintre Stéphane Mandelbaum, y participe.

Le blanc apparaît peu à peu pour devenir omniprésent.

C’est en 1966 que l’artiste entre à l’école d’Art d’Uccle comme professeur pour y enseigner la peinture.

La direction de l’académie lui est confiée de 1979 à 2004.

Arié Mandelbaum- Photo ©Philippe Orlinski-2008

Dans une volonté de nourrir une réflexion sur la peinture par d’autres disciplines, Arié Mandelbaum se produit comme acteur dans les mises en scène de Claude Schmitz depuis 2003.

Actuellement, l’artiste poursuit son œuvre entre Bruxelles, Fontenoille en Gaume belge et New York.

Au rythme des papiers tendus sur les murs de ses ateliers, Arié Mandelbaum continue de composer et de dialoguer avec la mémoire.

 

Arié Mandelbaum-Sans titre – tempera et technique mixte-papier-marouflé sur toile -183×199 cm-2010-11 ©Wolfgang Dengel

Corps sans corps, volumes en lévitation, c’est littéralement par le blanc aveugle des yeux que le monde et l’intime s’échangent. Un peu de jaune, un peu de rouge… et le noir dans tous ses états.

 

L’INTIME ET LE MONDE est une exposition qui suscite mille émotions à la fois. Et on est d’autant plus touché que ces émotions sont là où on ne les attend pas!

Ne la manquez surtout pas!

Infos pratiques
Horaires d’ouverture de l’exposition :
  • lundi au vendredi : 9h – 19h
  • samedi au dimanche : 11h- 19h

Centre Wallonie-Bruxelles  – Salle d’exposition 

127-129 rue Saint-Martin 75004 Paris
M° Rambuteau
Entrée : 5€
Tarif réduit (étudiants, seniors, groupes à partir de 10 personnes et demandeurs d’emploi) : 3€
 Gratuit : Enfant -12 ans et Amis du Centre

Centre Wallonie Bruxelles

 

Le Centre Wallonie-Bruxelles à Paris est un centre culturel qui promeut des artistes et créateurs de la Fédération Wallonie-Bruxelles en France. Créé en 1979, en plein centre de la capitale, en face du Centre Pompidou, le lieu dispose d’une salle d’exposition, d’une salle de spectacles ainsi que d’une salle de cinéma.
Sa mission principale est la promotion de la culture belge francophone à Paris et sur l’ensemble du territoire Français. Elle propose une programmation diversifiée : spectacles vivants, exposition, cinéma, rencontres littéraires, etc