Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue; un trouble s’éleva dans mon âme éperdue […]  Phèdre (1677), I, 3

Ce n’est absolument pas un hasard si cette tirade de l’aveu de Phèdre à Oenone est la première que découvre le public de Ma vie en aparté

Edwige (Bérengere Dautun), professeur de théâtre, est en train d’auditionner une jeune comédienne. Mais cette audition qui devrait, somme toute, être très banale replonge Edwige dans ses souvenirs… Et quels souvenirs! De ceux que l’on n’oublie jamais !

« Voilà bien longtemps que j’avais le désir d’écrire un texte de théâtre où il est question, justement, de théâtre… » nous confie Gil Galliot, réalisateur et metteur en scène de la pièce.


« Cette mise en abîme, je le savais, n’est pas chose facile et peut se heurter rapidement à quelques écueils qu’il me fallait, à tout prix, éviter. Le premier étant de ne s’adresser qu’au milieu professionnel théâtral (ou du spectacle en général).
Le deuxième, de n’offrir au public qu’une théorisation ou un point de vue conceptuel sur quelques aspects de l’art dramatique sans développer une véritable histoire interne. […] Je me suis rendu compte que cette « cuisine », cet objet clandestin qu’est la répétition, intéressait beaucoup le public […] et que la direction d’acteurs, finalement, parle aux spectateurs, quand elle s’appuie sur le sentiment, l’engagement ou l’authenticité

Mais cela ne me suffisait pas!

Je décidai que la répétition et la direction d’acteur d’une jeune actrice par Edwige (la professeure dans Aparté) mélangerait dans un premier temps une réflexion sur ce que c’est que de « jouer » au théâtre (ma vision personnelle), et la différence d’approche dramatique entre une actrice, avec cinquante ans de métier et une jeune débutante. »

La pièce, Ma Vie en Aparté, s’inspire directement d’une partie de la vie de Bérengère Dautun. Gil Galliot

La partie sur l’enfance, la jeunesse au Cours Simon, les rapports avec son père ou les années de comédienne à la Comédie Française ; autant de référents qui m’ont permis d’asseoir au sein d’une véritable fiction, un fond d’authenticité.

Mais par-delà ces différents éléments biographiques, ce qui m’a le plus intéressé chez cette artiste, c’est sa vitalité.

Bérengère Dautun – Crédit photos : © Adan Akram

À un âge où beaucoup capitulent ou renoncent, Bérengère, elle, mesure encore, tous les bonheurs que chaque instant peut encore lui procurer. C’est une femme qui ne vieillit pas. Qui se mesure chaque jour à elle-même en continuant de poursuivre son métier de comédienne. Une femme qui se respecte et s’impose cette belle discipline de vivre intensément. C’est l’histoire d’une femme qui a traversé la vie dans une sorte d’ailleurs. Cet ailleurs c’est le monde de la scène.
Elle a, toutes ces années, tissé un lien permanent entre le non réel et sa vie personnelle. Une vie partagée avec un homme qu’elle a éperdument aimé.

Mon avis :

J’avoue avoir eu un peu de mal – pendant les 5 premières minutes – à me faire à cette fameuse « mise en abîme » évoquée par Gil Galliot.

Ce qui est probablement dû au fait qu’ayant pris le parti de ne jamais lire les résumés (et encore moins les dossiers de presse) AVANT d’aller découvrir les pièces, je me retrouve parfois déroutée quand les choses sortent des « clous »…

« Déroutée » étant d’ailleurs un bien grand mot pour exprimer ce petit moment de « flottement », qui en général ne dure pas. Je suis vite séduite comme ce fut le cas avec Ma vie en Aparté.

Réminiscences d’Edwige, découvertes de la jeune comédienne débutante, états d’âme mis en parallèle de toutes les deux, et puis, pour finir, cette impression que tout n’est qu’un éternel recommencement… Le mot, qui selon moi, résumerait la pièce mon sentiment est : passionnante !

Bérengere Dautun excelle dans ce rôle qui lui colle à la peau et confirme – s’il en était besoin – ce talent remarquable que j’avais déjà beaucoup apprécié lors de son interprétation de « La Dame Céleste …» .

Je reconnais d’ailleurs que le fait qu’elle fasse partie de la distribution a été déterminant dans ma décision d’aller voir « Ma vie en aparté »

Sa présence, son jeu de scène, sa voix même, me feraient, je crois, apprécier n’importe quelle pièce !

Et si Bérengère Dautun incarne le Souvenir et/ou la Mémoire, Clara Symchowicz, elle, serait donc …le Présent, cet « Aujourd’hui » qui d’ailleurs, en réalité, ne serait autre que le passé réincarné. Un joli « miroir » qui donne à Edwige l’impression de retrouver la fraîcheur de sa jeunesse. Clara Symchowicz qui n’a pourtant que 27 ans, s’en sort plutôt bien. Il faut dire que la scène, elle connaît, puisqu’elle a commencé les castings à l’âge de 10 ans avant de faire ses premières expériences de théâtre aux ateliers jeunesses des Cours Florent.

Je n’avais encore jamais eu l’occasion de la voir sur scène et j’ai trouvé qu’elle s’en sortait plutôt bien.

Les deux comédiennes

MA VIE EN APARTÉ de Gil Galliot au Studio Hébertot-Berengere Dautun -Clara Symchowicz -zenitudeprofondelemag.com-Crédit photos : © Adan Akram
MA VIE EN APARTÉ de Gil Galliot au Studio Hébertot
Clara Symchowicz, Bérengère Dautun
Crédit photos : © Adan Akram

Bérengere Dautun

Après son premier prix au conservatoire National d’Art Dramatique de Paris, Bérengère Dautun entre à la Comédie Française en 1964. Elle en devient sociétaire en 1972 et le reste jusqu’en 1997.
En tant que sociétaire, elle y interprète tous les grands rôles de tragédie : Cinna, Polyeucte, Rodogune, Bajazet… Mais elle s’illustre aussi dans Le Misanthrope, Antigone de Brecht et dans les œuvres de Marivaux, Labiche ou Feydeau.

Les auteurs contemporains ne sont bien évidemment pas oubliés : Grumberg, Chedid, Beckett, Sarraute, Kalisky, Vinaver…
Une importante filmographie ponctuée de films marquants : Eugénie Grandet d’Alain Boudet, Les Patates de Claude Autant-Lara. Et même si elle se fait plus rare de nos jours au cinéma et à la télévision, Bérengère Dautun a récemment fait des apparitions chez les Frères Dardenne, et dans la série Lupin dans laquelle elle donne la réplique à Omar Sy.
En 2009, elle crée sa compagnie et monte ses propres spectacles, dont Les cahiers de Malte Laurids Brigge de Rainer Maria Rilke, Refuge pour temps d’orage, d’après Patrick de Carolis, Je l’appelais Monsieur Cocteau, d’après Carole Weisweiller, La comtesse de Ségur née Rostopchine, Cantate pour Lou von Salomé, Le choix de Gabrielle, son adaptation de La Dame céleste et le Diable délicat d’après Claude-Alain Planchon.

En 2020, elle reprend la direction du Studio Hébertot où plusieurs de ses spectacles avaient déjà été montés.

En 2021, Bérengere Dautun reçoit le Prix de la meilleure comédienne au Festival Off d’Avignon.

2022, publication du livre de Bérengère Dautun-Cabrol : Christian Cabrol, mon amour, ma lumière

Dans ce livre publié récemment (mars 2022) aux Editions de l’Archipel, Bérengere Dautun-Cabrol lève le voile sur sa vie et son histoire d’amour avec le chirurgien Christian Cabrol (à qui l’on doit la première transplantation cardiaque en Europe).

Pour Gil Galliot, il existe un lien entre Ma Vie en Aparté et le livre de Bérengere Dautun:

« Ce livre évoque cet amour unique qu’elle a porté à « son Christian ». Ce grand chirurgien qui réparait les cœurs, et qui faisait battre le sien. Le personnage que joue Bérengère dans la pièce pose une question à propos de l’image que laissent les acteurs après leur disparition : « Sommes-nous mémorables ? » .


« La mémoire est la sentinelle de l’esprit » disait Shakespeare. Il est certain que ce livre de Mémoires, au-delà d’une histoire particulière et personnelle, permettra à nombre de lecteurs de partager une histoire de passion, où les souvenirs sont les fondations mêmes d’une forme d’immortalité.»

Quoi qu’il en soit, Berengère Dautun est décidément une femme hors du commun.

INFOS PRATIQUES

Ma vie en Aparté

Mise en scène : Gil Galliot
Comédiennes : Bérengère Dautun et Clara Symchowicz

Bande-son : Pascal Lafa
Lumières : Gil Galliot et Alfred Levy
Texte de Gil Galliot

Durée : 1h15

Production Compagnie Titan – Bérengère Dautun


Au Studio Hébertot – 78 bis Boulevard des Batignolles- 75017 Paris
01.42.93.13.04
Du 7 mars au 27 avril 2022

Lundi à 19h
Mercredi à 21h

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[…] le charme de Sylvia Roux qui ne souhaite qu’une chose : récupérer son mari par tous les moyens. Bérengère Dautun est magnifique dans les rôles de la cartomancienne et de la directrice de l’hôtel où s’est […]

Nicole
Nicole
2 années il y a

Merci ma belle