Bac de philo 2022 : Les pratiques artistiques transforment-t-elles le monde ?

Thierry Wolf nous a récemment confié sa vision de l’évolution du Monde de La Nuit durant les 40 dernières années.

Aujourd’hui, c’est le sujet de philo « Les pratiques artistiques transforment-t-elles le monde ? » sur lequel ont planché les candidats au baccalauréat, qui inspire notre échange…

Z.P : Selon vous, à quel(s) moment(s) de l’Histoire, l’art a-t-il déjà sauvé le monde ?

T.W : L’art ou l’influence de l’art a souvent sauvé le monde ou permis de sublimer des comportements.

L’art, c’est l’homme qui cesse d’être juste un animal pour devenir enfin humain.

On pourrait citer des tas d’exemples mais j’aime bien me souvenir que Paris a échappé à la destruction totale ordonnée par Hitler simplement parce que le consul de Suède, grand amoureux des arts et de cette ville, a réussi à convaincre Von Choltitz, le général allemand gouverneur de la place, de ne pas détruire la capitale.

Des tas d’exemples pourraient-être cités tels que celui du film Le Dictateur de Charlie Chaplin, qui a fini de convaincre l’opinion publique américaine d’intervenir en Europe, ou les nombreuses mobilisations d’artistes à travers leurs œuvres pour s’élever contre la guerre du Vietnam.

L’art sauve donc l’homme de sa bestialité, dans le sens le plus vil du terme.

Z. P : Et, selon vous, comment l’art peut-il influencer les comportements humains ?

T.W : Les humains ont tenté et réussi à se sublimer pour simplement créer… Que ce soient des fresques gigantesques comme celle de la chapelle Sixtine ou bien simplement l’art rupestre dans de sombres grottes où les premiers hommes s’expriment et subliment leur quotidien. Grace à l’art, l’Homme dépose son arc et ses flèches juste pour reproduire le contour de sa main, la silhouette d’un animal. C’est grâce à l’art que l’Homme devient Homme.

Z.P : Quelle est la place de l’art aujourd’hui dans la société ?

T. W: La marchandisation et l’ultra connectivité me parait avoir perturbé quelque peu les recherches artistiques. Comme nous sommes dans une société de l’immédiateté et de la rentabilité, on ne laisse pas assez de temps aux artistes. Il a fallu un bon nombre d’enregistrements avant que les titres de Jacques Brel ou de Gainsbourg soient majeurs. De même pour les peintres qui doivent remettre leur ouvrage sur le chevalet pour enfin pouvoir dominer la technique puis s’exprimer pleinement.

L’art m’apparait avoir perdu du terrain au profit notamment de comportements addictifs comme scroller sur les posts de Tiktok ou les « news » d’Instagram.

Il faudrait redonner du temps au temps pour laisser émerger de nouvelles formes d’art

Ce qui ne manquera pas d’arriver car l’âme artistique de l’humain vagabonde malgré les algorithmes des marchands du temple, et de jeunes artistes sont en train de s’approprier de nouveaux codes et vont transformer de simples applications numériques en instrument de création.

Nous sommes sans doute à un nouveau carrefour de la création.

L’art dit « moderne » ne me semble plus très moderne, de nouvelles expressions apparaissent comme des œuvres d’art immersives, des NFT… L’Homme, heureusement, n’en a pas fini de créer.

Z.P : Comment sensibiliser les plus jeunes aux pratiques artistiques ?

T.W: En cessant de les abreuver de méthodes, ou en tentant de les gaver, comme des oies, de protocoles éducatifs. En faisant confiance à leur cerveau, et leurs pensées qu’il faut laisser vagabonder. Arrêtons de solliciter nos enfants avec des plannings aussi remplis que ceux des ministres en campagne. Offrons-leur le loisir de prendre le temps de rêver. Les enfants ne connaissent pas encore leurs limites. Ces limites que la société impose aux adultes. Laissons-les sublimer le moindre des instants et ils vont vous donner des leçons de création et de spontanéité.

Z.P : En quoi l’art est-il un rempart à la barbarie ?

T.W : J’expliquais, au début de notre échange, comment l’amour d’une cité et de son architecture ont pu la sauver. L’art c’est l’être primaire qui devient un peu moins primaire pour s’intéresser à des choses parfois totalement futiles, juste pour le plaisir de jouir d’une image, d’un son ou d’une matière sous les doigts.

J’ai rencontré Cabu il y a très longtemps. Il symbolisait parfaitement la différence entre le barbare et l’homme évolué.

Ce genre d’artistes, de penseurs sont – par leur humanité, leur humour et leur profond amour de la vie – des remparts contre la barbarie car ils ne résistent pas à un bon mot, même si cela peut mettre leur vie en danger. Tant qu’il y aura des artistes libres, tant qu’il y aura des Cabu, des Ai Weiwei, cet artiste chinois qui milite par ses actions pacifiques et si intelligentes, les barbares n’auront jamais complétement gagné le combat.

Merci Thierry d’avoir pris le temps de partager avec nous cette analyse pertinente et surtout très positive et à très vite pour un nouvel échange!